La vie quotidienne
les "années noires"
En raison des réquisitions qui entraînent des pénuries et des restrictions, le problème crucial de tous les français est celui de la nourriture et donc du ravitaillement. Les prix augmentent sans cesse et la consommation diminue
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Dans les fermes l'on arrive à se nourrir correctement même si l'on manque d'huile, de sucre, de café, de pâtes... comme partout. Toutefois les exploitations agricoles sont soumises aux réquisitions : denrées diverses comme blé, beurre, oeufs ; animaux vivants (bovins, chevaux) avec le fourrage qu'il fallait souvent convoyer. C'est toujours le maire qui est chargé par les autorités allemandes de trouver les produits réquisitionnés, toutefois, une commission à Trévières se réunissait pour l'organisation. Ainsi en 1942 le canton de Trévières a fourni 51 tonnes de rutabagas.
NOTE DU PREFET AUX MAIRES " Le Préfet du Calvados à M. le Maire de.................... |
ORDONNANCE du 20/04/41 (Extraits) concernant l'échange de produits alimentaires et des fourrages soumis au rationnement |
Certains font marcher le système D et "se débrouillent" dans une région où beurre, fromage et oeufs sont abondants alors qu'en ville ce sont des denrées rares et chères, surtout rationnées (ex: 100g de beurre par mois).Les prix ont augmenté, ainsi le kg de beurre est passé de 12 F le Kg en 1940 à 45 F en 1942... Le marché noir fonctionne et régulièrement la presse s'en fait l'écho.
Saisie de 50 kg de porc salé et de 55 kg de beurre à la gare de Bayeux " Intrigués par des allures suspectes de plusieurs personnes traînant des valises qui semblaient lourdes, la police de Bayeux voulut savoir ce qu'elles contenaient" |
Il existe aussi le "marché gris" sorte de ravitaillement clandestin local : on tue une bête en douce dont profiteront les voisins et les alentours, à prix modéré. De même les "colis" sont de plus en plus nombreux ; partout, avec les moyens les plus variés, le ravitaillement clandestin circule. Certains se font prendre mais comme gendarmes et allemands sont intéressés, parfois on peut s'arranger. Toujours est-il qu'après guerre certains paysans se sont retrouvés, par miracle, enrichis...
Les autres civils subissent davantage les pénuries, ils utilisent les "cartes d'alimentation" mises en place en février 1940(en 1942 : 275 g de pain par jour, 90 g de viande par semaine et 175 g de beurre par mois) aussi doit-on faire la queue pour acheter un peu de viande même dans les petits villages. Progressivement les rations indiquées sur les cartes diminuent au fil des mois: on passe de 290 g de viande en septembre 1941 à 90 g en octobre 1942.
CARTES DE RATIONNEMENT : catégories
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Il fallait trouver des solutions pour remédier aux pénuries, de l' incitation aux économies aux interdits de gaspillage. De nombreux produits de substitution apparurent comme le café à base d'orge, le savon à la graisse... D'anciennes plantes abandonnées furent à nouveau cultivées, les vieux vêtements rapiécés, les chaussures ressemelées avec du bois. On utilise le vélo quand on peut, ou plus simplement, on va à pied d'autant que la circulation dans le département du Calvados est, depuis 1940, réduite à 2000 véhicules et que l'on manque de carburant.
Jamais le jardinage n'a autant prospéré, jamais on a autant pratiqué le troc, ni fait de la récupération. Avec un salaire mensuel moyen de 900 francs comment vivre correctement : un poulet vaut 100 francs, un oeuf 2,50 francs, le kg de beurre 45 francs.
NE GASPILLEZ PAS LE PAIN |
VIE PRATIQUE |
Une exception !
Toutefois, il faut noter qu'à St Laurent et Vierville, les allemands ont finalement accepté une "tolérance de pêche à pied" et même de "pêche aux harengs" (une vieille tradition locale) de septembre à décembre qui nécessite d'aller relever les filets la nuit. Toutefois les allemands surveillaient attentivement les opérations de pêche pour mieux prélever leur part ensuite !
Témoignage
Témoignage d'Y Cordelle: la vie quotidienne en zone interdite à Vierville Je me souviens que, en vacances à Vierville, j'étais chargé d'aller tous les matins en vélo chercher 1 litre de lait à telle ferme et 1/2 litre à telle autre, et aussi 6 oeufs, ici ou là, par semaine. Les fermes Blin, Auvray, Dubois, Leterrier (Ormel) étaient nos fournisseurs habituels, à des tarifs tout à fait raisonnables, mais pour des quantités limitées, à la tête du client, suivant les relations personnelles et les besoins familiaux supposés.Le beurre nous était fourni en quantités très importantes par un fermier de mes parents, le père Jean à Longueville, mottes de 20 kilogs parfois, que mes parents salaient pour la conservation et l'envoi à Paris par la Poste, en petits paquets de 1 kg. Cela nous permettait de ne pas trop manquer à Paris et de dépanner la famille. On avait aussi des pommes de terre, de l'huile d'oeillette maison, de la viande de vache et de porc (je me souviens de l'abattage d' un cochon au château, strictemement défendu bien sûr, mais sous les yeux de l'officier Allemand que nous logions et qui regardait par la fenêtre en rigolant).Par contre le pain a toujours été un problème difficile. Ce n'était pas une production locale, on était donc strictement limité aux rations réglementaires, et je me souviens avoir eu faim avec 275g/jour comme J2, puis 350g/jour comme J3 (à partir de 13 ans en 1943). Au total on est sorti de la guerre maigres comme des clous, mais en bonne santé. Mes parents se sont sûrement privés pour moi, ils ont perdus 15 à 20 kilogs de poids en 5 ans, mon père avait bien maigri, mais son ulcère d'estomac avait totalement disparu. Dans la population, des maladies chroniques comme l'alcoolisme avaient disparues aussi, vidant les hôpitaux.Au total les paysans normand se sont enrichis, car en général ils ne se privaient pas pour vendre aux Allemands au prix fort, mais ils nous ont aussi nourris et sauvé la vie (car les rations seules ne permettaient pas de survivre, voir ce qui s'est passé dans certains hôpitaux de régions non productrices de nourriture, le marché noir était innaccessible aux revenus normaux de la plupart des gens) et je leur en suis reconnaissant. |