L'OPERATION AQUATINT

 

LES SSFR : Small Scale Raiding Force 

Equipement et entraînement :Les membres du SSFR étaient équipés d'armes de toutes sortes. A titre d'exemple, Peter Remp avait une mitraillette avec 7 chargeurs de 20 cartouches, une pince à couper le fil de fer, 2 grenades Mills, 1 couteau, 2 charges d'explosif de 250 grammes.
Commandés par des officiers courageux, l'entraînement était complet pour surmonter la terrible certitude d'être tiré comme du gibier d'eau , si, aussi silencieuse que fussent leurs pagaies, ils venaient à être repérés sur l'eau par les sentinelles allemandes ! et ce fut le cas pour "Aquatint ". Il fallait savoir démonter, armer une mitraillette d'un modèle allié ou ennemi quel qu'il soit dans le noir absolu, savoir tirer au pistolet par la méthode de Shanghai (un novice tirera comme un champion !) 

Objectifs des missions :Les objectifs sont les mêmes pour toutes les opérations : tester les défenses ennemies, faire des prisonniers et désorganiser l'adversaire (donc : objectif d'Aquatint)

L'OPERATION AQUATINT

l'ambiance à bord : Cette nuit là, pas de préoccupation majeure, bravoure et entrain habituels, l'envie de se frotter à l'ennemi.

Le débarquement : Le lieu était le village de Saint Honorine des pertes (extrémité Est de la plage de St Laurent/mer) mais la "Petite Nine" , surnom de la vedette rapide qui transportait le commando se présenta face à St Laurent à environ 2 miles (4 km ) du lieu prévu . Les membres du commando se sont -ils rendus compte de cette erreur ? aucune certitude .HALL, l'un des premiers à embarquer sur le dinghy en caoutchouc raconte :

"Nous devions prendre un petit chemin tortueux sur le flanc d'une falaise mais nous n'avons pas trouver cette saleté de chemin ! Nous revînmes et nous ne trouvâmes pas plus ! C'est alors que Gus nous dit : Qu'en pensez vous les gars ? On y va ? "

LORD HOWARD raconte "Les instructions étaient de débarquer sous une falaise mais il faisait noir comme dans un four et nous sommes arrivés au milieu d'une très grande plage, très ouverte"

Le contact avec l'ennemi :Il a été établi beaucoup trop vite comme l'explique HALL:

"Au moment où nous débarquâmes, une patrouille allemande est arrivée. Notre travail consistait dans un tel cas à faire des prisonniers, ainsi je me suis emparé d'un des soldats allemands et j'ai commencé à l'entraîner vers la mer. Il répétait sans arrêter : nicht Deutsch ; nicht Deutsch ! Czechich, Czechich! (je ne suis pas allemand mais tchèque ! )C'est alors qu'un autre soldat allemand est arrivé et m'a frappé par derrière."

HALL fut assommé par un coup de grenade à manche que l'on a surnommé " presse purée" utilisée cette fois comme matraque. La fusillade commença aussitôt après.

La fusillade : LORD HOWARD qui gardait le canot pneumatique raconte :

Dans la bagarre, je fus atteins à la jambe. J'ai entendu quelqu'un dire en allemand " Regardez, il y a un bateau !"Nous embarquâmes dans le canot dont le fond était en toile et qui n'était pas fait pour naviguer dans une mer qui devenait agitée. Nous nous éloignâmes un peu et tout se gâta ! Des fusées furent tirées et la fusillade s'amplifiant canot coula ne sais pas s'il chavira ou fut touché par un projectile. Je pouvais encore nager malgré ma jambe blessée, mais difficilement...Par chance, je me heurtais au canot renversé ce qui m'a sauvé. André Desgraupes était dessus. Je ne sais pas ce qui arriva aux autres.
Appleyard quant à lui ne débarqua pas lors du raid Aquatint. Il s'était brisé la cheville en glissant sur les rochers couverts d'algues humides aux Casquets. Observateur sur le MTB (Motor Torpedo Boat , la vedette rapide )il était également navigateur en second. Les fusées lui firent voir l'équipe du débarquement prise au piège par les mitrailleuses de la côte. Il était assez près du rivage pour entendre des cris qui lui semblaient provenir de March Philipps et de Hayes, mais Tom Winter dit " Appleyard s'est trompé, Graham Hayes ne cria pas, j'en suis certain ,il était déjà parti à la nage le long de la côte. Il était plus avisé que nous , mais finalement il a eu moins de chance !

Retour impossible: March Philipps rassembla un groupe des membres du commando et essaya de rejoindre le MTB à la nage mais Lord Howard se souvient:

" Un seul d'entre nous put s'approcher du MTB qui ne le vit pas dans le noir. Le MTB resta sur place plus longtemps que les ordres reçus ne l'y autorisaient. Ces instructions étaient d'éviter tout contact avec un bateau de guerre ennemi. Quand le MTB entendit passer un obus dans son gréement et qu'il reçut une balle dans son moteur tribord le commandant sentit qu'il était temps de partir "

 

Un lourd bilan:

11 membres du SSMF ne revinrent pas:

3 étaient morts
- le Major MARCH PHILLIPPS, 32 ans
- le Sergent Alan WILLIAMS , 22 ans
- le soldat Richard LEHNIGER , 42 ans, (juif allemand des sudètes engagé britannique sous le nom de Richard Léonard)

2 étaient grièvement blessés
- HOWARD, qui souffrant d'ostéomyélite à la suite se sa blessure à la jambe fut rapatrié en 1943
- Tony HALL , grièvement blessé sur le côté droit, à la figure, au bras et à la jambe fut opéré à la suite de ses blessures et dut subir 6 mois de rééducation

4 s'échappèrent mais 3 furent repris 2 jours après
-Capitaine BURTON
-Soldat Adam ORR, polonais
-Soldat Jan HELLING, hollandais tous trois capturés
-Capitaine HAYES qui seul s'échappe...

2 furent capturés indemnes
- Tom WINTER
- André DESGRAUPES

Les prisonniers :

Tom WINTER raconte :

"Le matin suivant , seul André Desgraupes et moi étions capables d'effectuer la triste tâche de tirer le corps de Gus en haut de la plage .On a dit qu'il s'était noyé mais je ne le pense pas. Je suis certain qu'il mourut de ses blessures. Egalement du fait que la pierre tombale de Léonard porte la date du 13 / 9 et non pas du 12 / 9 ; on a dit qu'il avait été exécuté par les allemands .C'est faux ;J'ai vu son corps et celui de Williams . Les allemands nous ordonnèrent , de tirer les 3 corps en dehors de la ligne de marée haute. Ils prirent un film de cette opération et l'utilisèrent dans un film de propagande " Minuit à Cherbourg ", je crois .

Les allemands m'emmenèrent alors voir Howard et Hall à l'hôpital mais pensant que la chambre contenait des micros nous n'avons parlé de rien d'important.

Etre pris signifiait pour moi deux mois de coups et de violences pendant les interrogatoires . Au début , avant qu'ils ne trient les prisonniers en fonction de leurs grades , je partageais une cellule avec le capitaine John Burton .Ils commencèrent à m'interroger sur le badge de sergent Major que je portais sur ma manche .Ils enlevèrent le badge et trouvèrent le morceau de couverture écossaise qui m'avait servi à le doubler pour mieux le fixer .Un officier SS me demanda la signification de cette garniture . Je répondis " C'est un morceau de couverture ! " ce qui me valut un grand coup de poing ...Ils trouvèrent les cartes cachées dans mes épaulettes mais pas l'utilisation de mes boutons d'évasion : on réalisait une boussole en mettant un bouton l'un au dessus de l'autre. Les allemands n'entrèrent pas non plus en possession des codes secrets que nous avions appris pour envoyer les messages en Angleterre.

J'ai envoyé , plus tard , des messages codés à mon épouse à Codefosters en Angleterre et John Burton a envoyé un message concernant le naufrage du canot en caoutchouc, qui , pensait-il, fut causé par une seule balle frappant le système à ressort du cadre en bois .Je me souviens pas des termes exacts mais c'était à peu près ceci : " Le rasoir n'est pas bon, il se replie au premier choc "

Le retour de la vedette: Appleyard rentra à l'aube à Portland, son moral au plus bas : le SSFR anéanti, son chef disparu comme tous les membres du commando. Beaucoup d'amis et de parents devaient être informés par Appleyard de façon plus personnelle que par un télégramme du War Office.
MARJORIE MARCH PHILIPPS apprit la nouvelle à Dunham Massey, où elle suivait un entraînement de parachutisme, sans se rendre compte qu'elle était enceinte de 2 mois ! Elle se souvient parfaitement de l'appel téléphonique qu'elle avait manqué trois jours plus tôt :

"La jeune fille qui travaillait chez moi me dit que Gus avait appelé pendant mon absence pour me dire au revoir ; j'ai eu à ce moment là une sensation physique intense . J'ai senti mon coeur tomber comme une pierre ..."

 

Le communiqué allemand : Les civils français de la région apprirent très vite que le commando avait été détecté par le chien de la patrouille. Ce chien a été vu, très souvent par la suite trottant dans les rues de St Laurent avec la croix de fer à son collier. La version du chien ne fut pas reprise par le communiqué allemand qui était ainsi rédigé :

"Nous avons capturé un officier de marine gaulliste, quelques officiers anglais et autres militaires : plusieurs morts parmi les assaillants , dont un major. Un bateau en bois, un pneumatique et 3 mitraillettes on été capturés ."

 

Les 3 échappés : Les allemands, d'après leur communiqué, semblaient ignorer que 4 hommes du commando étaient libres : Hayes, tout seul et un groupe de 3 conduits par Burton, un rouquin puissant et déterminé du Lincolnshire régiment. Ses compagnons étaient le polonais Adam Orr et un hollandais Jan Helling.
Madame Anne Burton, veuve de John a écrit ces lignes de sa résidence à Cap Town :

"Les allemands avaient très bien fortifiés la plage et le raid fut un désastre; John avec un polonais et un hollandais réussirent à s'éloigner du rivage à la nage et à aller vers le MTB mais ce dernier était sous un tel feu de mitrailleuses qu'il dut s'éloigner rapidement , avant d'être rejoint par les nageurs ;Ils longèrent la côte un moment et revinrent au rivage.

Au jour , il se cachèrent et des français leur donnèrent vêtements et nourriture. A la nuit ils partirent à pied. Une nuit (?) ils tombèrent sur une patouille allemande ce qui termina leur aventure. Ils avaient essayé de se diriger vers la frontière espagnole mais s'aperçurent qu'ils avaient marché en rond ! ils furent livrés aux SS qui les mirent nez au mur ,disant qu'ils allaient les fusiller, mais pour une raison inconnue, ils changèrent d'avis. John fut envoyé dans un camp de prisonniers en Allemagne. Je ne sais pas ce qu'il advint des deux autres ."

Le sort de Jan Helling est un mystère. Le service britannique des tombes de guerre a retrouvé seulement deux militaires nommés " Helling " mais aucun n'était hollandais.
Il y a une tombe connue sous le nom de Orr, mais elle est située à Durnbach, en Bavière du sud à environ 600 miles ( 900 km ) du lieu de sa capture. La date est imprécise ( 12 avril ) figure la mention " tué au combat "
Le peloton d'exécution pourrait bien, comme les SS en avaient menacé, avoir été la fin des deux soldats, hollandais et polonais. Personne n'en est certain.
Mais il n'y a plus de doute sur la façon dont le Capitaine Graham Hayes, M C ( Military Cross ) est devenu l'homme aux deux pierres tombales !

Graham HAYES se cache...Hayes a nagé deux milles ( 3600 m ) vers l'Ouest de St Laurent le long du rivage jusqu'à un secteur non gardé proche du village d'Asnières en Bessin. La côte normande en 1942 était remplie de cachettes, depuis les fossés touffus jusqu'aux maisons abandonnées et aux haies du bocage si solides comme l'apprirent les troupes britanniques deux ans plus tard, qu'elles pouvaient résister aux coups de boutoirs d'un char d'assaut. Hayes se cacha. Il était trempé, affamé et sans défense ,mais pas désespéré. Il était d'un tempérament fermé, d'un caractère bien trempé. Il aimait toujours travailler seul. Il avait autant de chance que tous ceux du SSFR de réussir une évasion en solitaire, mais sa connaissance delà langue française était faible.
Lorsque le soir est venu , il sortit de sa cachette et remit son sort entre les mains d'un fermier : Marcel Lemasson (décédé en 1986 ou 87 ). Ce dernier organisa immédiatement le transfert de Hayes vers le château d'Asnières, chez Monsieur Paul de Brunville et Madame M de Falandre.
Mademoiselle Isabelle de Brunville, la fille des propriétaires raconte :

"Les allemands passèrent sur la route avec un chien policier, pendant que nous conduisions l'officier anglais chez nous. Mais ils ne nous découvrir pas. Après s'être restauré et avoir fait un peu de toilette , il enleva son uniforme et demanda s'il pouvait quitter la maison et se cacha dans un grenier. J'avais gardé quelques souvenirs après avoir brûlé son uniforme comme il me l'avait demandé. C'était une patte d'épaule , quelques boutons et des cartes sur tissu qu'il avait cachées dans la doublure de son blouson"

Hayes resta dans son grenier pendant que les allemands enterraient March Phillips, Williams et Lehninger, côte à côte dans le petit cimetière de Saint Laurent dont les murs de pierres, les haies et les ormes ressemblaient à ceux d'un village du Dorset. Des nouvelles de la cérémonie parvinrent à Hayes , qui, quelques jours plus tard , avec de grandes précautions quitta le château à pied pur rejoindre la gare de Bayeux à 12 milles (19 km ) de là. Un cycliste lui ouvrait la route en le couvrant, c'était Olivier de Brunville qui fut décoré plus tard de la croix de guerre dans les rangs de la 2° DB du Général Leclerc.

Hayes dans les mains de la résistance...Hayes rencontra un agent de la résistance à la gare et monta à bord d'un train à destination de Lisieux. O de Brunville rentra lui à Asnières, content que tout se soit bien passé. Après une marche de 6 milles ( 10 km ) Monsieur Septime Human ( le résistant ) et Hayes se rendirent de Lisieux au Pin, un village dans les bois connu pour ses fermes à colombages. Hayes fut installé en sécurité à la ferme de Madeleine Septavaux. Tout s'était bien passé...mais pas dans le secret !
La présence d'un officier anglais fut bientôt connue de plusieurs fermiers et du facteur .

Un réseau infiltré : Paris, en la personne de Hugo Bleicher, membre du contre espionnage allemand fut informé ainsi que sa maîtresse Marie Suzanne Laurent , du café "Pélican" à Caen.
Un traître avait infiltré le réseau de résistance de Lisieux. Robert Kiffer, arrêté en 1941 alors qu'il dirigeait un réseau près de Cherbourg avait été " retourné " par une " offre impossible à refuser " de la Gestapo. Bleicher écrivit après la guerre :

" Chacun de ceux qui se sont trouvés un pied dans la tombe face à un peloton d'exécution ne jugera hâtivement la conduite de ces gens en les traitant de traîtres .."

La compréhension de la France concernant cette insoutenable pression sur de jeunes hommes peut -être excuser la grâce faite aux agents doubles : ainsi Kiffer fut libéré sans explication, après appel, d'une condamnation à mort prononcée en 1949 par une cour d'assise contre les crimes de guerre ; pourtant il fut à l'origine d'un désastre au profit de la Gestapo. D'après les termes du rapport de son procès : dés Novembre 1943 Kiffer et 3 de ses compagnons avaient décapité la résistance normande. Ils laissèrent derrière eux larmes et deuils . Les déportés et les morts sont difficiles à dénombrer. Ce triste décompte a commencé rapidement après qu'Hayes eut quitté Le Pin le 20 Octobre 1942 , cinq semaines après Aquatint.
Deux membres du réseau furent trouvés dans les bois , criblés de balles. Le Docteur Hautechaud, chef de la résistance de Lisieux fut déporté et mourut à Buchenwald. Son épouse fut déportée et nul n'entendit plus parler d 'elle
Les perquisitions reprirent dans la région où s'était déroulée Aquatint et prudemment Mademoiselle De Brunville brûla ses souvenirs.

Hayes de Paris à l 'Espagne : Pendant ce temps la résistance transférait Hayes du Pin à Paris , sans soupçonner que les allemands le suivaient pas à pas . Hayes fut confié à un agent parisien nommé Orkl comme le précise une lettre de Lilian Hayes , la mère de Graham:

"Une anglaise, Madame Davidson nous informa que Orkl qui habitait prés de chez elle mais qu'elle ne connaissait très peu lui amena Hayes en visite .Elle nous dit qu'il faisait passer Hayes pour un sourd et muet et l'emmenait dans Paris et mieux... à un match de foot ball, ce dont il se serait bien passé. Mais Orkl prétendait que c'était la meilleure manière de procéder. Ils quittèrent Paris pour l'Espagne le 28 Octobre. Orkl revint et informa Madame Davidson qu'il avait conduit Graham au delà de la frontière et que ce dernier serait bientôt en Angleterre."

En 1942 la frontière espagnole était particulièrement difficile à franchir pour les évadés alliés, le Général franco, bien que non belligérant n'était pas neutre pour autant. La division Bleue espagnole qui combattit en Russie avec les allemands considérait cette guerre comme une croisade contre le communisme. Malheureusement pour Hayes l'Espagne de Franco avait décidé que tout fugitif pris à 12 milles ( 25 km ) de la frontière serait remis aux allemands qui venaient d'envahir la zone sud de la France après le débarquement allié en Afrique du nord.
La capture de Hayes et son renvoi, en France , après son évasion suivie par la Gestapo qui en avait informé les espagnols , très contents d'avoir à leur merci un membre de l'équipage du " Maid of Honor " ( 1 ) ne faisait plus aucun doute. L'arrestation fut cependant tenue secrète afin que Kiffer puisse continuer sa destruction de la résistance normande . On raconte qu'il montra à ceux qu'il trahissait une lettre de Hayes venant d'Espagne et qu'il dit avoir entendu à la BBC le message suivant : " Le capitaine est arrivé à bon port "
Les arrestations commencèrent dès que Hayes fut incarcéré à Fresnes, prison forteresse au sud de Paris. Madame Septavaux et Monsieur Septime Human furent arrêtés puis relâchés lorsque Hayes réussit à convaincre la Gestapo de leur innocence .

La détention de Hayes : Hayes ne trahit personne au cours de sa détention. Grâce à la manie des allemands pour les documents écrits qui ont été retrouvés , sa captivité peut être considérée semblable à celle subie à Fresnes un an plus tard par l'agent SO wingcommander FFE Yeo Thomas : gardiens brutaux, soupe de navets, café de glands grillés, pain constitué de céréales avariées et mal cuit, rien à lire à part deux carrés de papier journal fournis chaque jour à la place de papier toilette. Le seul intermède à la solitude d'une cellule nue et froide était un voyage régulier dans un fourgon cellulaire pour la rue de Saussaie, quartier général de la Gestapo, près de l'Elysée. Là, les questions étaient ponctuées de coups, d'immersions la tête la première dans une baignoire d'eau froide et des coups de nerf de boeuf renforcé par une tige d'acier flexible. Hayes résista et supporta tout, il fut indestructible ! Des années plus tard Isabelle de Brunville s'étonne encore :

"Comment se fait-il qu'ils ne soient pas venus perquisitionner à Asnières ? "

les allemands furieux et déroutés par Hayes qui ne répondit jamais aux questions le renvoyèrent à Fresnes. Ils promirent de le transférer dans un camp de prisonniers, mais se parjurant, ils le laissèrent dans sa cellule coupé de toute nouvelle de l'extérieur. Il ne sut jamais que son jeune frère Malcom , officier de la RAF du Bomber Command, avait trouvé la mort au cours d'un raid sur les ponts de la Loire en Février 1943. Sa mère nous a écrit :

"Ce fut grâce à un jeune officier aviateur incarcéré aussi à Fresnes que nous connûmes le dénouement. Il était dans une cellule proche de celle de notre fils ;il lui criait bonjour et bonsoir et passait des signaux en morse. Il nous a raconté que Graham avait un moral élevé et faisait beaucoup pour lui donner de l'espoir. Quelques semaines plus tard il ne reçut plus de réponse à son appel habituel ; il en conclut que Graham avait enfin été transféré en camp de prisonniers de guerre ."

Après des recherches des autorités britanniques , on trouva qu'il avait été fusillé le 13 juillet 1943 . Il fut enterré dans la section spéciale du cimetière d'Ivry réservé aux personnes assassinées par la Gestapo. La pierre tombale se trouve encore à Ivry et porte le nom de Gream Hayes; Un accent aigu sur le e permettrait de retrouver la prononciation exacte de Graham. Le corps cependant fut transporté en 1951 à Viroflay près de Versailles où il repose sous la pierre tombale traditionnelle des cimetières anglais.
La résistance parisienne ne perdit pas de temps à assouvir sa vengeance. Elle exécuta Orkl en septembre. Les autorités françaises envoyèrent chercher, pour identifier le corps, le fils de Madame Davidson. Ce dernier n'osa pas demander des nouvelles de Hayes craignant que cela n'éveille des soupçons. La mère de Hayes dans une lettre datée de 1946, parle d'une sinistre coïncidence au sujet de la date d'exécution de son fils:

"Je me demande si Graham vous a parlé de Appleyard qui a combattu avec lui et a vécu dans le village de Luiton on Warfe . Il n'a pas débarqué ce jour de septembre à cause de sa cheville cassée mais a vécu assez de temps pour gagner d'autres combats et défaire l'ennemi, jusqu'au jour ou Graham fut assassiné, et ce même jour il mourut aussi . "

En effet, Appleyard disparut au cours d'un vol au dessus de la Sicile. Il était alors attaché au 2° régiment de SAS. Son avion, en mission pour détruire un pont sur la route de l'armée britannique , fut perdu sans trace ni explication. Quelques vieux compagnons pensent qu'on a dissimulé les faits: ils sont persuadés qu'il fut abattu par les canons alliés. Mais comme le dit Lilian Hayes, Appleyard gagna plusieurs combats avant sa sortie mystérieuse. La première de ces actions fut le débarquement à Sark trois semaines seulement après Aquatint , Appleyard la conduisait, accompagné entre autre par Anders Lassen. Les conséquences notoires de cette expédition contribuèrent au sentiment de justification qu'ont pu avoir les allemands en ce qui concerne l'exécution de Hayes , devenu pour eux " un prisonnier commando impardonnable "(2)

=> Récit tiré de divers documents, en particulier du livre de Mike Laugley : Biographie de "Anders Lassen VCMC of the SAS " New English Library publié en 1989, dont la partie consarée au commando Aquatint a été traduite par JP Chedal-Anglay en septembre 1989.

(1) navire ( chalutier transformé ) utilisé par le SSFR pour réaliser les raids

(2) au cours de l'expédition de Sark, le 4 Octobre 1942, plusieurs prisonniers allemands opposant de la résistance avaient du être tués par les soldats du commando anglais dont le chef était Appleyard. Les allemands ont considéré cela comme des crimes de guerre, les hommes du commando britanniques devenant de ce fait des criminels de guerre non justifiables des lois, ni de la convention de Genève.