LOGISTIQUE

Après guerre

ADMINISTRATION : française ou américaine ?
L'Handbook est un ouvrage distribué aux Gi's décrivant les mœurs des français et l'essentiel sur notre pays. On y lit, concernant les normands, qu'ils sont "taciturnes et réservés". Cet ouvrage doit aussi aider les américains de la "CIVIL AFFAIRES" à gérer la France mais De Gaulle réfutera la "ferme et bienveillance tutelle" imaginée par Roosevelt. A Bayeux, le 14 juin, il affirme que " Nous combattons aux côtés des alliés, avec les alliés, comme un allié. Et la victoire que nous remporterons sera la victoire de la France."
La MMLA (Mission Militaire de la Liaison Administrative) a formé des officiers opérationnels en juin 44, prêts à contrer l'AMGOT des américains qui installe partout dès le 6 juin des "bureaux" pour administrer le pays. De Gaulle désigne, des "Commissaires de la République" au fur et à mesure de la libération, pour imposer son autorité sur la France : F Coulet est le premier, installé à Bayeux, qui aussitôt nomme R Triboulet comme Sous Préfet, puis "administre" : il choisit (révoque) les maires, s'occupe de la justice... Il impose à l'AMGOT son administration mais travaille avec elle.
En effet les officiers de la MMLA connaissant parfaitement le terrain s'implantent partout et, à partir des listes établies par Chevigné à Londres, mettent en place une administration bien française qui s'appuie sur les personnalités locales "patriotes" (maire, gendarme, juge...). Ce dispositif fonctionne parfaitement et en deux mois le Gouvernement provisoire de De Gaulle s'impose sur le terrain. La reconnaissance officielle américaine attendra la mi octobre. Les fameux billets distribués en abondance par les américain seront surtout utilisés par les paysans normands ... pour payer les taxes et les impôts ! Fin Août, un rapport allié indique "Les autorités françaises n'ont pas éprouvé le besoin de recourir à la monnaie supplémentaire"

GI'S ET NORMANDES :

"Avec les allemands, les hommes devaient se camoufler. Quand les américains sont arrivés, il a fallu cacher les femmes...!"
Combien de normands ont prononcé cette petite phrase bien malicieuse... Si le Gi se plaint parfois d'avoir le mal du pays ("I'm home sick") ce qui parfois l'incite à boire pour oublier et souvent à lier connaissance avec les françaises... En effet, quel accueil formidable a été réservé aux Gi's... une véritable liesse populaire dans tous les villages libérés, une reconnaissance éternelle pour les libérateurs. Alors, que d'effusion, que d'affectueuse reconnaissance, que d'idylles naissantes mais aussi que d'abus et de dérapages ! les françaises ayant une réputation que la virilité américaine ne demande qu'à assouvir.[voir l'ouvrage "La face cachée des GI'S" de J R Lilly, Payot, 2003, 21,50 €, qui dénonce les violences sexuelles de la part des Gi's en Europe...) A rapprocher des 102.000 naissances illégitimes sur 225.000 naissances en Grande Bretagne entre 1940 et 1945.

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Toutefois, de véritables coups de foudre ont existé qui se sont terminés par des mariages quelques mois plus tard. Les américains se sont même inquiétés de la situation, Madame Roosevelt rappelant "Pourquoi épouser des européennes alors qu'ici tant d'américaines attendent ?" et l'armée avertit ses hommes " Attention aux maladies vénériennes :12 % des hommes ayant la gonorrhée deviennent stériles. Pensez à la famille que vous voulez créer en rentrant au pays !". On ira même jusqu'à multiplier les problèmes administratifs en faisant attendre deux mois le Gi avant d'obtenir une autorisation de mariage. Puis début 1946,une nouvelle loi américaine simplifie, enfin, la procédure de mariage qui permet aux épouses et enfants de rentrer sans visa jusqu'au 28/12/48 à condition de fournir la preuve du mariage. C'est ainsi qu'environ 6000 épouses "war brides"(sur 70.000 comptabilisées officiellement) partiront vers le nouveau pays entre mars et juin 1946 et découvriront un monde bien différent ! C'est ainsi que l'on estime à 50 % le nombre de couples qui réussiront à s'adapter et donc à réussir leur union, c'est dire si les déceptions suivies d'un retour en France furent nombreuses. Le pire étant toutefois réservé aux 10 à 15 % d'"épouses oubliées" qui ne trouvèrent personne pour les accueillir à leur arrivée et qui ne descendirent même pas à terre ! Le divorce étant quasi automatiquement prononcé dans ces cas.

GI'S : DU TRAFIC à l'ARROGANCE

Au même moment les difficultés s'accumulent en France où "rien ne marche, ni l'industrie, ni l'agriculture, ni les transports, ni la reconstruction". Les français ont même faim dans les mois qui suivent la libération et on verra même des manifestations en novembre qui se terminent par des pillages. La surmortalité infantile augmente (25.000 enfants en 1945). Les tickets de ravitaillement continuent (retour de la carte du pain le 1° janvier 46) car on manque de tout, c'est la pénurie, d'autant que l'hiver 45 est très rigoureux . Comme l'indique R Aron dans les "Temps modernes" "On est déçu que le ravitaillement ne se soit pas amélioré, on est déçu par l'attitude des alliés et en particulier des américains..." Pourtant le américains envoient des tonnes de marchandises, mais le besoins sont trop importants. C'est l'époque des scandales car de nombreux petits malins profitent de la situation pour s'enrichir :

" Le scandale des farines normandes :
11 personnes arrêtées, une soixantaine de boulangers inculpés"

"Scandale des farines: arrestation à Rouen du directeur de l'office des céréales"

Comme le Gi ne manque de rien et que l'armée dispose de tout à volonté, avec des stocks toujours pleins, très vite, certains Gi's vont piller les stocks sans cesse réapprovisionnés et organiser un trafic qui prendra parfois beaucoup d'ampleur : cigarettes, essence sont particulièrement revendus. Bientôt la Militay Police doit surveiller les "marchés" et faire des rafles !
Les américains hier chouchoutés par les français sont maintenant de moins en moins bien supportés, d'autant qu'ils ont tendance à exhiber facilement leur opulence face à des français vivant dans la misère.
On verra même quelques déserteurs créer de véritables gangs et sème la terreur, la presse l'évoquera comme France soir du 26 avril 1946 qui titre " Cinq déserteurs américains tirent sur la foule". On fit donc la chasse aux quelques 600 GI déserteurs de Paris qui étaient très certainement des truands américains sortis de prison pour s'enrôler dans l'armée.
C'est à cette époque que certains esprits mal intentionnés disaient "le boche se tenait mieux que le ricain", c'est dire si l'aura du Gi avait bien décliné en France. D'ailleurs Newsweek du 6 mai 46 écrit:

" Après la victoire, les GI se sont forgés un complexe de conquérants. Non seulement trop d'entre eux, arrogants, n'accordent pas à leurs ennemis la moindre des décences, mais ils étendent leurs pilages, leur conduite déplorable, leur ivrognerie aux pays qu'ils ont contribué à libérer. L'accueil chaleureux réservé aux Gi par les pays alliés et le respect de circonstance des ennemis se sont rapidement transformés, à travers toute l'Europe, en crainte, en haine et enfin en mépris" Newsweek du 6 mai 46

 

Si les autorités répondent "boys will be boys", elles essaieront de resserrer les rangs et de revenir aux valeurs de l'armée : "discipline, esprit de corps, fierté dans l'accomplissement de la mission". Cela n'empêcha pas l'apparition des premières inscriptions, fin 46, "US GO HOME".

La Normandie retrouvera de nombreux Gi's puisque le port du Havre avec Marseille sera un port de repli des troupes. Ainsi 3,5 millions de Gi's passeront par la Normandie et Le Havre deviendra le "16° port américain". On y construit des camps d'accueil et de regroupement aux noms évocateurs "Philip Moris, Lucky Strike..."ou des milliers de tentes sont posées (11.600 à Lucky Strike). Du coup les "ricains" sont omniprésents en haute Normandie avec les débordements habituels, surtout le trafic de marchandises : des camions entiers partent ! et souvent le camion ne revient pas, il est vendu avec la marchandise.

Gi' et LE RETOUR

"Bring back daddy" était le nom donné à des centaines de comités américains en 1946 qui ne comprenaient pas que, la guerre finie, les soldats ne soient pas de retour. Ce mouvement populaire incita le gouvernement à donner la;priorité absolue au rapatriement et à s'engager au retour au foyer des Gi pour le 25 décembre : le rapatriement s'accéléra pour passer de 200.000 / mois en été 45 à plus de 400.000 en novembre. Tous les navires furent mobilisés mais cela ne suffit pas à rapatrier tout le monde. De plus, en janvier 46 Truman annonce que les Gi's doivent rester pour "permettre aux USA de faire face à leur responsabilité pour le maintien de la paix" ; aussitôt tous les Gi's restés en Europe se révoltent au cri de :"We want to go home !" ce qui fera reculer le gouvernement. Les démobilisations vont donc continuer et le port de Havre aura entre septembre 44 et août 46 permis le rapatriement de 3.675.000 soldats.
C'est ainsi la plupart des camps américains seront récupérés et aménagés, ils serviront à reloger les familles françaises.
Un accord entre les deux gouvernements verra la France devenir propriétaire des équipements laissés par les américains (grues, pipe line, voies ferrées, docks, hangars et des milliers d'appareils divers) et récupérer officiellement les équipements annexés par les américains comme l'aérodrome d'Orly.