Témoins Normands

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LEMIERE Simone : en 1944, agée de 17 ans, aide à la ferme de ses parents à Vierville / mer "

il voulait nous tuer "

"Sur, je me rappelle du premier américain ! Vu que le débarquement c'était le mardi et on habitait dans le haut du pays, donc on a vu le premier le mercredi matin à 8 heures, le 7 ; on était 30 sous un abri : il voulait nous tuer parce qu'il nous prenait pour des gens qui n'étaient pas des français. Il y avait ma mère ( qui est décédée ) et encore ma soeur qui habite à Vierville.
On était stupéfié de voir ce soldat avec son casque plein de feuillage dessus, quand on l'a vu, on a bien su que ce n'était pas un allemand, tout de suite ; tout de suite on a pensé que c'était la libération,qu'on était libéré.

"Un mouchoir blanc"

Dans l'abri,il y avait une dame trés âgée qui avait un mouchoir blanc, et, pour ne pas qu'il nous tue car on avait peur qu'il nous prenne pour des espions, elle faisait " Français, français ! " alors il s'est arrêté et n'a plus rien fait ; les hommes sont sortis et ont discuté avec ; on pouvait pas parler parce qu'on ne se comprenait pas beaucoup !
On n' a attendu attentivement que viennent d'autres américains ; on savait pas trop, on n' osait pas bouger, on sortait pas : on n'osait pas, on avait peur.

"Ils n'avaient pas peur"

Les soldats américains,il fallait qu'ils aillent, ils n'avaient pas peur, ils avaient un moral formidable. Nous, on a pensé que pour avoir fait ce qu'ils avaient fait, ils étaient drogués! Ils avaient pas peur !
On nous interdisait de rentrer dans nos maisons parce qu'ils se battaient encore. Alors nous sommes restés quelques jours tous ensemble groupés, on couchait dans une étable, on mangeait tous ensemble. On avait encore peur parce que ce n'était pas fini.

"Mitrailler les haies"

Il y avait encore trois allemands qui étaient restés et qui nous tiraient dessus on ne pouvait pas aller dehors. Alors un soir les américains ont mitraillé toutes les haies et ils ont tué les allemands. Alors après nous sommes rentrés dans nos maisons.

"Ils étaient méfiants"

Les premiers jours les américains étaient méfiants parce qu'on leur avait dit qu'il n'y avait plus de français, que tous les français étaient évacués. Alors ils avaient peur, ils croyaient qu'on était des espions ; donc au début ils nous ont pas trés bien reçus parce qu'ils se demandaient un peu ce que l'on était !

"après,c'était formidable ! "

Bon, après, çà était formidable. On a eu dans la cour, chez ma mère, tout une compagnie d'installée avec la cuisine : tous les midis, tout le monde venait manger dans la cour ; nous, on mangeait avec eux, c'était formidable !
A ce moment là, on n' avait pas de bonbons, de chocolats, pas de sucre, on n' avait rien, on était limité en tout, alors eux ils nous donnaient de tout ! on en avait ! on ne comprenait même plus ce que c'était ! des bonbons, du sucre, des petits sachets de café, enfin tout ce qu'ils pouvaient nous distribuer ! On était privé depuis si longtemps, on s'est retrouvé d'un seul coup on avait tout à manger !
Le soir, avant de se coucher, on avait une grande boîte de bonbons et on chosissait les bonbons qu'on voulait :c'était formidable!

"des copains "

On a rencontré beaucoup de soldats américains, beaucoup étaient vraiment des copains, vraiment ; j'ai même des photos avec eux ! De toute façon on vivait avec eux, ils étaient avec nous, ils vivaient avec nous. Ils étaient trés gentils, spécialement le nom de " William Sillivan", celui là, on a un souvenir formidable.

On leur donnait du lait. Ma mère avait encore deux vaches parce que les allemands avaient miné toutes les terres, comme on avait plus de terres on avait été obligé de vendre toutes nos vaches, il nous restait ces deux vaches . Mais les américains occupaient tous les herbages, et il y avait de la boue ! et maman avait du mal à aller traire : alors un américain allait avec elle et lui portait son bidon de lait sur son épaule !
Ils étaient "chouette " avec nous ! nous, on leur lavait leur linge.
Tout ça c'était formidable !

"des photos et un dollar"

Je posséde des photos et un dollar (signé d'un américain et par moi ), c'est tout ce que je possède ; je les garde et puis c'est un souvenir que j'ai toujours, la preuve, c'est toujours dans mon sac à main.

"Un seul et mauvais souvenir"

Mais j'ai un seul et mauvais souvenir de ce moment là. Mon père (*)avait été arrêté le 5 mai et emprisonné jusqu'au 6 juin. Ce jour du 6 juin 44 , il a été fusillé à la prison de Caen. Depuis on n' a jamais rien su, on ne sait pas ou il est, on n' a jamais pu le retrouver.
Pour moi, le débarquement est un bon et un mauvais souvenir parce que j'ai perdu mon père, il avait 47 ans, j'ai sa photo."

*Désiré LEMIERE (1897 - 1944) ses terres étant réquisitionnées par l'occupant, il devient facteur sur le secteur d'Omaha en plus de son activité agricole. Contacté par G Thomine, pêcheur à Port en Bessin, il entre dans la résistance sous le pseudonyme " Chordeille " ; depuis 1943, il transmet des renseignements précieux sur les positions ennemies au réseau " Alliance ". Il fut arrêté le 5 mai 1944, sous les yeux de sa famille par la Gestapo, et fut emprisonné à Caen .
Le 6 juin 44, 87 résistants furent fusillés dans la prison de Caen ; les corps n'ont jamais été retrouvés. La famille fut avisée officiellement en Juillet 46 . Une rue de St Laurent / Mer porte le nom de Désiré Lemière.

Interview du 14/02/94 à Trévières
Recueilli par Aurore Larue, Sandra Vautier
Transcrit par Magdaleina Gassion