Témoins Normands

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JEAN Jeanne, âgée de 7 ans, résidant château des Lauriers à Bernesq

Mon père a été obligé d’ouvrir toutes les portes

La première fois que j’ai vu un américain, c’était après le 6 Juin 1944 (?) à 7 heures du matin à la ferme des Lauriers de Bernesq. Les témoins étaient des gens âgés qui ne sont plus avec nous à l’exception de Madame Leclerc à Trévières. Les américains nous ont fait sortir de la tranchée, il y avait environ 70 personnes très âgées du bourg de Bernesq. Les américains se sont aperçus qu’il y avait un cheval d’un allemand dans l’herbage à côté de la tranchée avec la selle sur le dos. Mon père a été obligé d’ouvrir toutes les portes et d’aller dans les greniers suivis des américains avec leurs fusils pointés sur lui au cas ou un soldat allemand serait resté caché dans la ferme.

Tout noir pour ne pas qu’on le reconnaisse

Ils avaient environ 20 à 25 ans, tout noir pour ne pas qu’on les reconnaisse, habillés en tenue de combat avec un fusil, baïonnette au canon. Ils ont demandé à mon père pourquoi il n’était pas à la guerre, ma mère leur a fait remarquer qu’on était 4 enfants et que c’était pour cela qui n’y était pas parti. Le seul évènement qu'on a appris, d’après eux, avec leur langage américain : on a simplement compris que Trévières était libéré et bombardé. Ils nous ont apporté des chewing-gums, des chocolats. On a senti d’après les descriptions de mes parents que la guerre allait s’arrêter, que les américains nous avaient libérés, que les allemands étaient partis (en direction du Bois du Molay). Les 2 allemands qui étaient restés et avaient abandonné leur cheval ont été tués dans les landes de Bernesq.

Ils repartaient plutôt "gai" le soir

Après leur départ, on s’est senti libéré et ils nous ont demandé de quitter la tranchée et de partir de la ferme et ils nous ont envoyé à la ferme de la Poulardière chez Monsieur et Madame Albert Bernard. On vivait tous dans la même tranchée.
D'autres américains se sont cantonnés dans les herbages en face de la ferme et on vivait pratiquement tous les jours avec eux. On avait des bonbons, des chewing-gums et des chocolats à volonté. On avait même des cigarettes «Camel». On se faisait disputer quand on les fumait à 7 ans. Je me souviens que mon père leur faisait boire du cidre au tonneau et leur versait du Calva et ils repartaient plutôt "gai" le soir. Mis à part les chewing-gums, les chocolats et les cigarettes, je ne me souviens pas d’autre chose. Ils étaient très satisfaits de nous malheureusement, on ne les avait pas toujours avec nous, ils partaient souvent en direction de Saint-Lô.

L’évènement de Juin 1944, le plus précis et le souvenir le plus important pour moi, c’est d’avoir vécu avec toute la famille Bernard pendant presque une dizaine de jours.

DATE DE L’INTERVIEW : décembre 2003
LIEU : Ecrammeville
DUREE : 15 mn
RECUEILLI PAR : Camille Dorléans et Aurore Morel