Témoins Normands

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Hardelay Suzanne

Hardelay Suzanne née Coliboeuf, âgée de 12 ans, écolière à Vierville sur mer

On ne lui a vu que les jambes

Le 6 juin 1944 dans la matinée, nous étions dans la cave de la gare car on y habitait. Il y avait aussi mes parents, mes deux frères et ma sœur. Mon premier américain, on ne lui a vu que les jambes parce qu’il y avait des marches pour descendre .
Ce qui c’est passé, c’est qu'on ne lui a vu que des 2 jambes mais il n’y a que papa qui est monté car il y avait 10 marches, il a vu des lanières de cuir partout sur son pantalon. Pour dire son âge et sa taille il n’y a que papa qui l’a vu vraiment en entier. Mais avant de monter mon père a dit : «Oh,c’est pas un allemand, on l’a pas entendu arriver»
Il a parlé avec mon père mais pas avec moi. Non, il nous a rien donné à ce moment là. A douze ans, vous savez, je n’ai rien ressenti, enfin je ne m’en rappelle plus. Après nous sommes restés dans la cave et papa nous a dit : «Je vous avais bien dit que ce n’était pas un allemand ». On a vu d'autres soldats américains le 6 juin dans l’après midi assez tard, mais nous on ne sortait pas de la cave, les parents ne voulaient pas. Mais on en a vu passer vers 6 heures du soir, ils étaient sur deux rangs.

un cochon dans une petite cabane

On avait un cochon dans une petite cabane et les Américains venaient voir ce qui se passait (c’est surtout papa qui nous l’a dit car il remontait toujours voir ce qui se passait). Et comme ça bougeait, ça faisait un peu de bruit, un cochon, alors ils rentraient dans la cabane presque à quatre pattes avec leur fusil et quand ils ressortaient et qu’ils avaient vu le cochon et bien... ils riaient et puis ils repartaient !

un baigneur dans les bras

Le lendemain quand la maison a brûlé, on est parti, moi j’avais un baigneur dans les bras. Il fallait enjamber le mur et donc j’avais mon baigneur dans les bras. Il y avait un Américain à l’autre bout du mur qui m’a tendu les bras : je lui ai donné mon baigneur. Il a fait attention et puis tout a coup il s’est aperçu que c’était un baigneur alors il a éclaté de rire car il croyait que c’était un bébé !

les caisses derrière la haie !

Les américains nous ont donné plutôt de la nourriture. Parce que les cadeaux, on avait pas grand chose a leur donner comme la maison a brûlé. Mais les Américains nous donnaient des chewing gum, du chocolat ; plus tard, quand même, car on a été un mois dans le haut du pays et quand on est redescendu habiter sur la place du marché on avait pas beaucoup le droit d’aller avec eux, ils donnaient le pain blanc à maman par exemple. Au château et bien il y en avait un, il me faisait un geste quand je passais. Et quand je revenais au bout d’un quart d’heure, il avait arrêté un camion, enlevé des caisses, il les mettait derrière la haie et je venais les récupérer. Il a fait ça pendant peut être pendant 3 semaines mais on ne s'est jamais parlé, ni touché (il était rouquin !)

C'était presque un dieu

Après, il y avait un Américain, avec qui, on était souvent avec lui. Il était tombé d’un mur et puis on l’avait tout brossé, il s’appelait "Raimon". Pour moi, c’était presque un dieu. Il nous emmenait au cinéma, il nous promenait en voiture et un jour il nous avait expliqué que si il nous faisait un geste, il fallait que l’on descende de voiture pour aller se mettre dans le fossé car les officiers ne voulaient pas que nous soyons avec lui, il n’avait pas le droit. Et, un beau jour, il a fait mettre la voiture le long du fossé et il nous a dit "vite! vite! vite!" on s’est jeté tous dans le fossé : c’était plein d’eau, on n‘est revenu trempés et en fait... il n’y avait pas d’officier .

«Mais vous êtes venus pour nous délivrer ou pour nous tuer ?»

Pour nous en fait le plus dur, c’était le 7 juin quand les allemands revenaient à chaque fois qu’ ils descendaient. Les Américains nous ressortaient de la cave vers 11 heure du matin. Au bout de 4 ou 5 fois que l’on est remonté, ils ont pris papa et mes deux frères, et ,ils les ont emmené à saint Laurent et on s’est retrouvées toutes seules, maman ma sœur et moi. Dans l’après-midi, il y a un Américain qui est arrivé puis il a tiré un coup de revolver dans la cave : ça a ricoché 3 fois et maman est montée le secouer comme un prunier. Elle a dit : «Mais vous êtes venus pour nous délivrer ou pour nous tuer ?». Heureusement, il parlait français et il nous a dit "Mais, madame à la place du marché, j’ai des hommes qui sont blessés ou tués !" alors, ma mère lui a expliqué qu’il y avait des Allemands à telle place. On est monté toutes les 3 derrière la maison avec lui, il s’est couché là et ils sont allés au ruisseau. La maison était en dessous, il y avait 3 allemands qui tiraient sur les hommes qui passaient .

une petite plaque

La seule chose que j’ai encore, c’est en fait, lorsque la maison a brûlé, tout est tombé dans la cave, ils récupéraient toutes les pierres et quand ils ont nettoyé la cave (ils savaient que c’était nous qui habitaient là avant) ils m’ont retrouvé une petite plaque, "la vierge et l’enfant" ; c’était un souvenir de ma communion.
Je l’ai toujours car c’était un souvenir de ma communion, c’était quelque chose de personnel .

 

DATE DE L’INTERVIEW :21 novembre 2003
LIEU:Vierville sur mer
DUREE : 35 min
RECUEILLI PAR : Camille Zévaco et Maëva Hardelay