Témoins Normands |
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Pierre Havel, en 1944, marié à Adrienne, 2 enfants, Serge 18 mois et Daniel 4 mois , coiffeur à Trèvières (et caporal pompier).
des grondements... des bombes incendiaires
Tout commence vers 2 h 30 dans la nuit du 5 au 6 juin, quelques habitants sortent dans les rues où se montrent à leurs fenêtres, les regards braqués vers la côte. On entend des grondements de plus en plus forts. Le ciel est rouge de feu. Les Allemands sont très excités. Ils courent dans les rues : ce n'est pas, comme d'habitude, un simple rassemblement en vue d'une manœuvre. Des véhicules militaires partent en trombe en direction de la mer.
Un peu plus tard, des avions allemands et alliés surgissent. Ils lâchent des bombes incendiaires qui enflamment Trévières à plusieurs endroits. Les obus de marine monstrueux (380 et 420), lancés par le GS Battleship Ar-kansas, et les deux croiseurs français, le Montcalm et le Georges Leygues, grondent et éclatent nuit et jour. Les premiers tombent sur la maison du capitaine Turbert, ancien officier de la légion étrangère, et rue du Pont de la barre faisant plusieurs victimes.
Eboulements, explosions, incendies
Pendant cinq jours, les bombardements plus violents les uns que les autres vont se succéder Trévières. On marche dans des débris de toitures, de verres écrasés, de fils téléphoniques ou électriques. De jour en jour, les monticules d'éboulements qui obstruent le passage rendent de plus en plus difficile l'accès au premier poste de secours et aux blessés. Les incendies se développent dans le centre du bourg. Nous abattons dés pans de murs, des toitures enflammées s'écroulent. Au cours d'un bombardement, je suis "coincé" par un éboulement. J'ai du mal à respirer, j'étouffe : les braises des chevrons et débris de poutres incandescents m'occasionnent des brûlures dans la bouche. Des camarades parviennent à me dégager. Plus tard nous réussissons à stopper la propagation du feu vers l'hôtel Saint-Aignan mais le magnifique bâtiment de la mairie flambe en un immense brasier ainsi que ceux situés entre la place du Marché et la place de la Poissonnerie. Le vendredi, pendant un bombardement d'une grande intensité qui dure plus de deux heures, les explosions sont si fortes que parfois nous avons du mal à reprendre notre souffle. Mous n'avons plus d'eau : le château d'eau est perforé, les canalisations sont détruites, la pompe à incendie est criblée d'éclats. Nous finissons par stopper le feu en arrachant toutes les boiseries. Des femmes, des jeunes filles vont remplir des seaux dans les trous d'obus.
On récite des prières
Le centre de secours ayant brûlé, un deuxième centre est vite installé rue Octave Mîrbeau sous la direction du Dr Lehoux qui sans relâche prodigue ses soins aux blessés pendant que l'abbé Bertheux se dévoue sans cesse pour réconforter ceux qui souffrent et donne les derniers sacrements aux mourants, comme ils nous les donne aussi lors d'un terrible et assourdissant bombardement. Car on pense que cette fois on ne va pas en réchapper. Le Doyen Bertheux nous dit qu'il faut alors se préparer à mourir. On récite ensemble des prières. Instant de courage. Mais nous espérons quand même que l'on s'en sortira. Le Dr Lehoux décide de franchir les lignes de combat pour transporter les plus gravement atteints à l'hôpital de Bayeux.
Les morts aussi hélas se multiplient : les pompiers découvrent un premier corps atrocement mutilé dans la maison Lepoultel, puis rue du Pont de la barre celui de M. Hélie, et en remontant vers le bourg ceux d'une vingtaine de soldats allemands pris en enfilade. Plus tard, deux familles vers ta route de Bayeux sont très éprouvées perdant six des leurs, tous très jeunes. La folie, elle aussi, fait son œuvre assassine : "deux hommes, MM. Frêmont et Planchon, sont tués à coup de revolver par un jeune soldat allemand devenu fou dans cette fournaise de feu. C'est au total dix-huit de ses habitants que perdra Trévières.
Tout à coup, deux soldats
Le samedi matin, la bataille fait rage. Impossible de sortir de notre abri tellement ça tire de partout. Nous sommes nombreux dans cet abri de fortune : ma femme, sa mère, nos deux fils, les familles Leroutier, Samson, Castel, Lamache, Mme Joret et sa fille. C'est infernal.On est vraiment au cœur des bombardements. Un obus de 380 tombe à quelques mètres de notre abri sans éclater : c'est incroyable !
Les Américains sont tout près : on entend des voix, des ordres. Tout à coup, deux soldats, le visage noirci, les casques cachés sous les feuillages, la baïonnette au bout du fusil, font irruption. Ils nous font signe de sortir rapidement par des ordres brefs. Une dizaine de soldats sont là dehors. Un voisin leur adresse malencontreusement ta parole en allemand, et brutalement, les soldats, - ce sont des Canadiens -, nous rassemblent devant un peloton, armes pointées vers nous, comme pour nous fusiller.
Aussitôt, c'est la joie...
C'est alors qu'une jeune fille de 15 ans, Mle Lamache, se jette aux pieds de l'officier, lui crie en anglais que nous ne sommes pas des Allemands mais des habitants de la commune.
Aussitôt, c'est la joie, l'émotion indescriptible. On s'étreint, on offre des fleurs cueillies dans le jardin à nos libérateurs qui nous distribuent des cigarettes et du chocolat, tout en nous recommandant de rester dans notre refuge, un chiffon blanc accroché à la sortie..
Nous avons tout perdu, la maison,le salon de coiffure, mais l'essentiel c'est que nos enfants soient vivants
Note : Trévières fut incendié et détruit à 90 %, en effet le bourg fut pris et repris plusieurs fois par les allemands avant d'être libéré.Trévières aura perdu 20 habitants, et 52 auront été blessés. PLus de 25 maisons, 31 commerces ont été détruits ; 154 maisons ont été endommagées; la halle abritant la mairie, la justice de paix, la gendarmerie, l'école de filles, la salle des fêtes,le prebystère, l'ancienne gare sont détruits ; l'église et le monument aux morts sont éventrés. Les américains araseront de nombreuses maisons afin de faciliter le passage des convois. Tout attendra près de 10 ans avant d'être reconstruit et ce n'est qu'en 1960 que le village reconstruit fut inauguré.