Témoins Normands

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DURAND Nelly : en 1944, âgée de 20 ans, couturière, résidant chez ses parents à Trévières

" Mis en joue ! "

"J'ai vu mon premier soldat américain le samedi 10 Juin vers 8 heures du matin ; c'était dans la maison de Monsieur Pierre ( qui est la dernière maison avant le cimetière ) J'étais avec mes parents, ma petite soeur de 4 ans et des voisines.
Le samedi matin, on entendait la bataille se rapprocher, des coups de feu et puis on a aperçu un char américain qui était là, qui passait et puis les soldats nous ont mis en joue à la porte ; ils sont venus devant la porte : mon père est sorti, un soldat l'a mis en joue, et, mon père a fait signe qu'ils étaient des civils. Il a pris ma petite soeur de 4 ans pour montrer que nous étions des civils.
Ces jeunes et grands soldats avaient surtout l'air très fatigués ; ils étaient tout barbouillés, un peu camouflés, avec des armes : genre fusil, pistolet ( j'ai pas trés bien vu )

" Attendez, je reviendrai ! "

L'un est entré dans la maison, en hésitant, et puis, comme j'étais blessée, je lui ai dit qu'il y avait certainement des allemands qui étaient là, enfin qui étaient sortis il n'y a pas très longtemps et qui devaient encore avoir des munitions .
Il nous a dit : " Attendez, je reviendrai chercher la blessée, mais nous allons continuer à nous battre..." et il est reparti .
J'espérais enfin être délivrée parce que j'attendais, c'est le 6 juin, camouflée dans une tranchée que j'avais été blessée, les obus se rapprochaient . D'autres ont été tués autour de moi, celui qui a été tué juste à côté a crié " Couvrez - vous! ", Et puis, à ce moment-là, le troisième obus a éclaté et tout prés des morts, des blessés.

"Ils s'occupaient bien de nous "

Par la suite, j'ai été emporté sous une tente américaine là du côté de Colleville où c'est eux qui nous soignaient avec les blessés. Ils devaient m'opérer et ils m'ont fait signe que non, c'était inutile.
A un moment je me sentais mal, j'avais trés chaud, j'ai demandé que l'on me mette dehors, puis il s'est mis à pleuvoir alors ils étaient assez épouvantés donc ils ont mis la civière sous la tente en faisant très attention. J'ai demandé à boire et ils m'ont apporté à boire : ils allaient et venaient et s'occupaient bien de nous .

" On soigne, On ne tue plus "

Un moment, il y eut un allemand qui a demandé à boire, il disait " Kaput " enfin il était .... , il souffrait et j'ai entendu l'américain dire :" Ne lui donnez pas à boire... vous risquez de le faire mourir ! " et j'ai pensé, enfin, on soigne, on ne tue plus .
Beaucoup de soldats américains venaient conduire d'autres blessés et certains venaient voir à l'hôpital si j'étais encore envie, ils apportaient souvent une boîte de jus d'orange ou de jus de citron.

"Ils aimaient bien venir parler de leur famille "

Ensuite je suis retournée dans ma famille . Les américains nous donnaient leur pain tout blanc et des boites de conserves que nous appréçions parce qu'il y avait longtemps qu'on avait mangé des choses aussi différentes. Nous, on leur donnait plutôt de la nourriture qu'on leur offrait aussi mais ils appréciaient des choses plus fraîches, comme des oeufs, ce qui n'était pas des conserves. En général, ils aimaient bien venir se reprendre dans une maison, parler de leur famille.
Je ne posséde, aujourd'hui, pas grand chose, rien de spécial, plutôt des choses comme un parfum, c'est tout.

"La soie de parachute "

Je me souviens auss , que ce que nous avions aussi, c'est la soie de leur parachute, on s'en faisait des chemisiers, des robes ; les bandes de plastiques, de cuir, de couleur, on en faisait des ceintures. Alors, on a gardé ces vêtements qui étaient fabriqués avec des choses de l'armée américaine."

Interview du 16/2/94 à Trévières
Recueilli par Thomas Sorin
Transcrit par Pesquerel Marina