Témoins Normands |
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GIDON Marguerite : en 1944, âgée de 26 ans , employée de ferme et résidant à Bernesq
"J'ai lâché le poupon, tellement j'ai eu peur ! "
"J'ai vu mon premier américain le samedi 10 Juin, c'était vers 6 heures 30 le matin, on était 22 dans une tranchée.
Nous avions un petit bébé de 3 mois avec nous qui pleurait la faim parce que sa maman avait eu tellement peur qu'elle n'avait plus de lait . Alors le petit gosse, on le nourrissait avec de l'eau sucrée, mais c'est qu'il pleurait assez souvent alors c'était moi qui l'avait dans les bras, j'étais au bord de la tranchée ; voilà qu'est arrivé cet américain que j'y pensais pas ! La figure cachée par un casque et un filet et puis alors un fusil, habillé en vert, un vilain vert ! J'ai lâché le poupon tellement j' ai eu peur ! et il est tombé sur la paille qui était dans la tranchée.
"On voulait rire, on voulait pleurer ! "
Le soldat nous a fait signe et nous a fait comprendre qu'il y en avait d'autres qui venaient et en effet quand on a sorti de la tranchée, on en a vu une quinzaine de soldats qui venaient et on a compris pourquoi. On était libéré à ce moment là : on voulait rire, on voulait pleurer ; on s'est senti soulagé. Comme on était pris entre deux, on était là dans les virages, alors on avait les boches (comme on disait au moment ) les allemands qui se sauvaient, les américains qui arrivaient et ils s'entretiraient dessus, alors nous on se camouflait dans les tranchées.
On lui a offert à boire mais il n'a pas voulu boire sur le coup, il a fallu que l'on boive nous, avant que lui en boive ! Il avait peur qu'on l'empoisonne ! Alors, il a bu et puis de là, les paquets de cigarettes qu'il avait dans ses poches, ils les a offerts aux hommes qui étaient dans la tranchée. Il nous a demandé s'il y avait des allemands dans le coin. Il y en avait un petit peu mais plus loin.
" On avait peur des noirs "
Plus tard, ils nous ont donné pas mal de cadeaux, surtout quand on leur a lavé leur linge, parce qu' eux, ils n'avaient pas le temps de le faire, alors ils trouvaient des femmes, moi comme d'autres dans la commune, on lavait alors là ils nous apportaient du savon, des petits pois, des allumettes, du chocolat, du café du pain, des boules de pain grillé et tout ce qu'il y avait besoin dans un ménage. On ne comprenait pas toujours ce qu'ils disaient alors on partait à rire. Par contre, ce qu'on avait peur, c'était des noirs, les noirs quand on les voyait ,on cavalait de l'autre côté!
" 17 vaches sur le carreau "
A la ferme où on était réfugié, il y avait 25 vaches et le jeudi , quand on est arrivé pour traire , il y en avait 17 sur le carreau !
Il y avait une DCA au carrefour de Bricqueville et une autre à La Folie .Elles s'entretiraient les unes sur les autres mais comme nos herbages donnaient dessous, alors il y a eu 25 vaches tuées et les autres complètement affolées et pour les traire...c'était mignon ! et il y a eu un avion qui a piqué : on a cru notre dernier quart d'heure arrivé ! mais non c'était encore trois allemands qui se sauvaient et qui repartaient sur Bricqueville . Ils en ont tué un, il y en avait un qui était resté mort au près de la côte ; Et nous là, on avait eu chaud .On a vu l' avion piquer. Le vendredi soir, on a vu un avion tomber, des américains qui jouaient entre eux : ils se sont touchés à deux et un est tombé : ça nous a fait froid. "
Interview du 31 Mars à Bernesq
Recueilli et transcrit par Stéphanie Liégard, Sophie Godé, Marina Pesquerel