Témoignage de Monsieur Feutry

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vu à 15 ans
De Gaulle

Claude Feutry, âgé de 15 ans en juin 1944, réside à Trévières à quelques km d'Omaha Beach. Après les moments tragiques vécus dans les jours qui ont suivi le 6 juin, ses parents lui demandent de rédiger ce qu'il a vécu, le jeune Claude s'exécute en maugréant...
60 ans plus tard, il retrouve ce texte, tapé à la machine Underwood, que ses parents avaient précieusement conservé !

-LE DEBARQUEMENT-

Dans la nuit du Lundi 5 au Mardi 6 Juin, un fait imprévu mais formidable surprend notre petit coin du Bessin, le Débarquement !..
La nuit s'annonçait tranquille, les étoiles scintillaient dans le ciel et la lune éclairait de sa lueur blafarde le paisible Bessin, quand le bruit du canon se fit entendre, il était environ trois heures. Maman inquiète, mais qui ne le montrait point vint tout à coup me réveiller. "Qu'y a t'il donc, lui demandais-je." "C'est le Débarquement, me dit-elle". Et tout abasourdi par ce fait attendu égoïstement ailleurs; je m'habillai rapidement. Dehors un magnifique feu d'artifice, des lueurs ; des fusées, des balles traçantes se mêlaient au bruit sinistre du canon. Déjà quelques obus tombaient sur Trévières et ses alentours. Le danger nous menaçait trop. Il fallait se décider. Papa prend le commandement de la section et nous voila partis à la faveur de l'aube naissante à cette funeste tranchée qu'un Colonel boche avait fait creuser pour lui et ses deux "Grooms". Nous nous asseyons sur des sièges de fortune (de simples caisses) et attendons une accalmie et la fin de notre cauchemar, mais en réalité ce n'en était que le débat.
Les avions ne faisaient que rôder, épars, essayant de déceler leur proie cachée dans la nature. Au bout d'une heure profitant d'une accalmie nous décidâmes de rentrer à la maison pour prendre quelque repos. Papa s'était allongé sur le divan ainsi que maman quand un homme de la Défense Passive entra. Il venait chercher papa pour qu'il se rendît au poste de secours. La matinée se passa assez bien. Marie notre fidèle femme de ménage vint comme de coutume accomplir ses devoirs hebdomadaires. Le canon grondait toujours. La situation devenait sérieuse. C'est pourquoi il était utile de manger dans un coin de la cuisine pour nous préserver des éclats. Vers midi papa et Jules( le mari de notre femme de ménage) vinrent, et nous commençâmes le repas. Sur la table, de délicieux plats, mais l'appétit faisait défaut. Au début de l'après-midi, nous restâmes à la maison et obéissant toujours aux ordres de ma bienveillante maman, nous arrangeâmes notre modeste gîte en vue d'y passer la nuit. A cinq heures la canonnade recommença de plus belle et il fallut retourner à l'abri où papa et Jules nous rejoignîmes dans la soirée. La nuit que l'on aurait cru agitée se passa très bien. Parfois un bruit lointain nous faisait revivre pendant quelques instants la tourmente passée. Le jour se leva de bonne heure et nos visages paraissaient anxieux à la pensée des événements qui allaient suivre et que nous prévoyions tragiques.
A dix heures l'orage éclata. Les avions se remirent à tourner e et les canons à tirer . "Pourquoi tirent-ils donc, se disait-on.? " Une batterie de D.C.A. boche se promenait derrière nous, dans le champ de notre voisine. Les obus sifflaient sur nos têtes et tombaient dans notre petit pré. "En voila un, disait Jules, ce n'est pas pour nous, s'ils raccourcissent "chomfaits". L'orage cessa et nous vîmes arriver trois nouveaux pensionnaires, effarés par le bombardement, cherchant quelque asile, leur maison étant complètement détruite. L'après-midi resta calme sauf quelques grondements. La nuit fut silencieuse et tout le monde dormit ou plutôt essaya de dormir car le confort était assez restreint. Avec plus de parcimonie que les canons leurs obus, le soleil commençait à distribuer à travers le vert feuillage ses rayons printaniers. La journée s'annonçait belle, mais nous n'eûmes guère le temps d'apprécier la beauté de la nature. Vers midi, les canons se remirent a tonner et les obus tombaient drus comme giboulées de Mars (C'était certes plus dangereux). Tout à coup un tombe près de notre abri, un second, puis un troisième ? Nous voila pris dans un nuage de poussière et de poudre, ça nous prend à la gorge. "La tranchée est éboulée crie Maman, il faut s'en aller." Alors en un clin d'œil, notre petite troupe de traqué s'enfuit dans le bois de notre pré. Mais fait surprenant, le tir est rallongé et voila les obus qui tombent sur le fossé en face. "Attention, Attention ! crie papa?, nous partons, "A plat ventre ! "A plat ventre" !, les obus sifflent de partout. Le clocher touché à mort tombe sous les coups de la mitraille. Nous quittons bientôt le bourg pour arriver dans l'herbage du Camp Martin où déjà de nombreuses personnes s'étaient réfugiées. Nous nous installons dans le fossé et je passe pour le première fois depuis trois jours une nuit assez tranquille. Le matin quelques coups de feu. "Ça doit-être des Tommies qui arrivent, tiens j'en aperçois un là-bas, dit papa, maintenant on a 99/100 de chances de s'en tirer. "Il n'y avait pas cinq minutes qu'il avait dit cela qu'une batterie boche vint à coté de nous et ce ne fut ensuite qu'une pluie d'obus. Que faire, se disait-on ? Rester, dangereux ! II fallait, partir. Et se frayant un chemin à travers les buissons et les ronces, nous allâmes rejoindre la route de Littry sur laquelle donnait un petit chemin que nous prîmes ensuite. A l'entrée de ce sentier feuillu se trouvait une batterie ayant à ses pieds ses quatre occupants morts. Muets et pensifs nous continuions notre route quand soudain, des soldats ! C'était deux boches qui faisaient le guet ainsi qu'un troisième caché dans un buisson. "Halte, nous cria-t-il, défense de passer, mais sur l'insistance de papa il nous indique un autre chemin en nous poussant, Tommies à un Kilomètre". C'était le dernier boche au moins libre et vivant que nous allions voir et heureusement pour nous, il avait été pris d'un bon sentiment.
Heureux de cette perspective, nous suivîmes l'autre chemin au bout duquel après une centaine de mètres nous trouvâmes un carrefour. Un coup d'œil avant de passer.! Que vois-je là bas? des soldats inconnus.! Ça doit être des Américains.! Attendez s'écrie papa, je vais agiter mon mouchoir.
Quelle joie, nous étions sauvés, car c'était réellement deux
des soldats que nous attendions depuis si longtemps.
Marie les embrassa chaudement. Que devait dire Jules.? Un ça passe, mais pas deux.!
Après avoir bu un délicieux verre de cidre, nous reprîmes courageusement notre route. Malgré les soucis, tout le monde était heureux, car nous avions vu poindre au loin l'aurore de la libération.

Claude FEUTRY.
Trévières, juin 1944