DEBARQUEMENT 6 JUIN OMAHA

Témoignage de Michel Hardelay

9 - Nuit du lundi 5 JUIN et l'aube qui suivit

Grand vacarme du bombardement
Afin de profiter de la douceur de la température, après les besognes habituelles, nous nous assîmes, ma mère et moi, dans le jardin. Vers 23 heures 30 j'entendis, entre le faible bruit provoqué par des explosions lointaines, le ronronnement caractéristique des moteurs des forteresses volantes propagé par le bruit de lamer.
Puis peu avant minuit ce fut le grand vacarme du bombardement de Maisy, a côté de Grandcamp, mais de Vierville nous ne pouvions localiser l'endroit exact. Les Allemands avaient allumé leurs projecteurs et c'était la première fois que je les voyais.
Dans les faisceaux on pouvait apercevoir, descendant lentement, de petits points blancs comparables à des flocons de neige, si on faisait abstraction de la distance. En réalité c'étaient des tracts enjoignant à la population côtière de s'éloigner immédiatement du littoral, des opérations militaires étant imminentes. Ces tracts nous étaient en partie destinés, parait-il!!

La mer était claire
Enfin peu à peu les bruits diminuèrent dans le ciel comme sur terre et nous montâmes dans nos chambres. Je jetai en passant dans le couloir un regard vers la mer a travers la baie de la façade Mord ; la mer était un peu plus claire que l'environnement, la crête de la falaise se détachait nettement et, debout et immobile la sentinelle du poste installé récemment par un détachement de la division arrivée du front de l'Est se découpait sur l'horizon.
On entendait toujours un bourdonnement lointain et des explosions assourdies.
Quelque peu rassuré je m'allongeai sur mon lit sans me déshabiller complètement, et m'endormis.

Réveillé vers trois heures
Je fus réveillé vers trois heures par le bruit d'un moteur d 'avion allant s 'amplifiant rapidement. Le temps de bondir à la fenêtre en même temps qu'un sifflement se faisait entendre et je vis la lueur de deux bombes explosant en crête de falaise sur un labour appartenant à ma mère, a 35 m à droite de la sentinelle qui avait légèrement courbé le dos et à 200 m de notre maison. Six autres bombes étaient tombées en flanc de falaise sans faire ni victimes ni dégâts, si ce n'est d'avoir transformé le petit potager de la villa "les Fusains" en un immense entonnoir de sable.
Pressentant des suites à ces évènements je m'habillai complètement, prévins ma mère et la bonne réveillées par les explosions d'en faire autant pour être prêtes à toute éventualité, et j'allais tous les quarts d'heure à mon poste d'observation Mais rien n'arriva d'anormal jusqu'au lever du soleil émergeant d'une bande de brume stagnant sur l'horizon, si ce n'est le bourdonnement sourd qui s'amplifiait de plus en plus.

Soudain..."C'est le débarquement"
Et soudain le rideau de brume se déchira d'un seul coup et dévoila des milliers de bateaux : spectacle superbe et grandiose : "regarde la mer!" et passant à de ma chambre et apercevant mon voisin sortant de chez lui, je lui criai : "C'est le débarquement, allez voir la mer et admirez".
Il passa dans son potager, derrière sa maison, accompagné de sa femme, le ménage à côté de chez lui et les parents d'Huguette en firent autant, ils avancèrent jusqu'aux barbelés limitant le terrain soit-disant miné et contemplèrent le spectacle

Nous étions donc tous les neuf sidérés et extasiés car le tableau qui s' offrait à notre vue quand arriva la charrette de trotteur normand et conduite, nous sembla-t-il, par un sous officier allemand, tête nue, tunique ouverte et chemise bouffant au-dessus de sa culotte

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C Ryan... D Zannuck... "Le jour le plus long" et la vérité !

Je dois, ici, ouvrir une parenthèse:
Lorsque Cornélius RYAN vint me voir, accompagné d'un interprète pour recueillir une anecdote pour le roman historique qu'il était sur le point a'écrire en I959 il prit quelques notes après avoir entendu les traductions de 1'interprète. Cette traduction était-elle fidèle? C Ryan mentionna-t-il tous les détails? Les relut-il? Toujours en est-il que son texte ne correspond pas, en certains points, a ce que je lui ai raconté, et même en écrivant "certains" je suis dessous de la vérité car je devrais dire tous sauf deux.
En ce qui me concerne seul mon âge est exact. D'après lui, j'ai un frère, une nièce, une autre profession. J'entends le poste de radio, alors que tous les habitants avaient dû déposer leurs postes a la mairie, l'allemand chevauchait un percheron, et je le suivais des yeux de l'église à la plage. Enfin, ce qui est exact, il venait apporter le "jus" toujours à la même heure, mais dans des sortes de containers spéciaux. Mais ce n'est pas le même homme qui est venu ce matin la, il ne transportait pas le café et était de trois quarts d'heure en avance sur l'horaire habituel.

Darryl ZANNUCK, s'inspira de RYAN, mais ne suivit pas la correspondance des âges : j'avais 31 ans en 1944 et ma mère 54 ans, son film "Le jour le plus long" sortit en 1962, donc 18 ans après les faits. Fernand Ledoux qui interpréta mon rôle avait 65 ans cette année là et Pauline Carton 78 ans, ce qui offre un écart de 34 ans pour moi et de 24 ans pour ma mère. Et pourtant une équipe est venue sur place prendre les renseignements sur le lieu que j'habitais au 6 juin 44,ma taille et ma carrure.

Quant à la scène de l'allemand et sa fuite ZANNUCX a joint le grotesque au ridicule.

La vérité la voici:
Chaque QG des armées avaient des renseignements différents à l'aube du six juin. On commençait à tenir pour certains les parachutages dans le Cotentin et à l'est de l'Ornemais entre ces deux régions que se passait-il? Pluskat venait de prévenir son chef de corps è l'instant qu'une flotte innombrable fonçait sur lui, mais chaque commandant de corps exigeait ce leurs chefs d'unité placée sur la côte confirmation et renseignements complémentaires.
C'est ainsi qu'un sous-officier de la compagnie stationnée dans le secteur et appartenant à la 352ème division avait reçu l'ordre de se rendre sur la falaise de Vierville et de rendre compte de ce qu'il voyait. Cet ordre était parvenu au capitaine suivant l'ordre hiérarchique depuis le général de division.Ce militaire habitué à se faire réveiller ou à réveiller ses hommes par la blague classique : "Debout, les Tommies arrivent" s'assura que l' ordre émanait bien de son capitaine, s'habilla rapidement, emprunta la charrette du porteur de café et se dirigea vers Vierville, au petit trot. Il passa devant l'épicerie, suivit la Rue du Hamel au Prêtre sur 50 m et tourna à gauche dans le pré où se trouvait la brèche dans le réseau de barbelés. Ce champ montait légèrement vers le chemin en surplomb menant au poste situé au-dessus de ma villa et, comme il était bordé de hautes herbes, on ne pouvait voir la mer qu'en le franchissant.
Arrivé à cet endroit 1'homme se leva, aperçut la flotte alliée leva les bras au ciel , sauta de la charrette et piqua un sprint vers le poste tenu par ses hommes.
Le cheval, quant à lui, fit demi-tour et regagna son écurie au grand trot.
Sentant que les tirs allaient se déclencher vu la des bateaux, tout le monde regagna sa demeure, ma mère prit ses bijoux et son argent et se dirigea vers l'abri; je la rejoignis avec une chaise et avant de descendre les six marches je déposai en travers de la tranchée une dizaine de fagots qui se trouvaient à proximité.
A peine arrivé dans l'abri les tirs se déclenchèrent.
Il était un peu plus de 5 h.30, heure anglaise.

Détruire les repères
La règle des artilleurs fut immédiatement appliquée : détruire les repères que l'ennemi pourrait utiliser en prenant avec soin d'autres repères non utilisables pour l'ennemi.
Donc détruire les flèches des clochers comme Vierville, Colle-ville et Saint Pierre-du-Mont. Pour faire bonne mesure les Américains abattirent aussi le clocheton de l'ancienne chapelle du château de Vierville. Un petit malin descella même le paratonnerre et le coq de l'église de Forrnigny; c'était pourtant un clocher a bâtière, par conséquent peu élevé .
Les églises de Louvières et d'Asnières échappèrent par miracle au massacre et celle de Saint-Laurent ne pouvait pas être utile parce que située dans une dépression.
Le navire allié qui tirait sur le clocher de l'église de Vier­ville était sur la même trajectoire que la batterie allemande installée au hameau de Montigny et qui avait pris aussi ce même clocher comme cible. En effet j'ai retrouvé dans le chêne ces poutres du beffroi, dont le bâti n'avait pas suivi les cloches dans leur chute, des fusées en aluminium côté Sud et des fusées en laiton côté Nord.
De ce fait il est difficile d'estimer l'armée qui a causé le plus de dégâts.
Toutefois on peut affirmer que c'est l'artillerie américaine qui a détruit le mur postérieur de la maison du maire ainsi qu'une lucarne du château de Vierville et probablement le pignon sur rue de la maison Jean.
Les artilleurs allemands sont responsables d'un obus de 88 qui a presque traversé la maison voisine de la boulangerie mais oui n'a pas explosé et probablement des deux morts du fournil de 'la boulangerie .

Les autres dégâts
Les autres dégâts : le presbytère, la maison Collière, une petite maison en face de l'entrée postérieure du manoir de Thaon sont sans doute le fait des deux adversaires.
Quant au manoir de Thaon lui-même que j'ai trouvé incendié le jeudi 8 au matin il a peut-être brûlé le mercredi, ou le mardi, le feu pouvant avoir été mis volontairement par les Allemands, comme ils ont essayé d'en allumer un à l'hôtel de la Plage, devenu ensuite hôtel de la Place.
L'hôtel du Casino a brûlé en fin de matinée, mais curieusement la salle de restaurant, pourtant en bois, a échappé aux flammes.
Les principaux sinistres devaient se produire le mercredi 7, au cours des durs combats occasionnés par la contre-attaque allemande, et la recherche des francs-tireurs.