DEBARQUEMENT 6 JUIN OMAHA

Témoignage de Michel Hardelay

19 - RELEVES DE PLANS

Destructions de bâtiments
Je n'ai jamais cherché à savoir d'où venaient les directives qui consistaient à prévenir la mairie des destructions de bâtiments qui gênaient le tir des batteries côtières. Le maire, une fois prévenu, écrivait alors au propriétaire si celui-ci avait laissé une adresse où le joindre pour lui demander s'il possédait les plans de sa demeure en vue d'une indemnisation future. Sinon ou sans réponse à sa lettre j'étais désigné pour faire un relevé sommaire : dimensions du bâtiment, nombre d'étages et d'ouvertures, consistance et épaisseur des murs, nature de la couverture. Je remettais chez moi ce travail au net -;t le déposais à la mairie. Le plus souvent lorsque je parvenais au bâtiment celui-ci ne possédait plus de toiture ni de plancher, les Allemands ayant le plus urgent besoin de bois de charpente pour étayer leurs galeries souterraines, mais cela ne contrariait l'as mon travail et le simplifiait même.

Les commissions
Je dois dire, qu'ultérieurement, au moment où les commissions ont été amenées à prendre connaissance des dossiers déposés par les propriétaires et comparer les mesures de leurs plans avec les miennes, on n'a constaté que des différences infimes; les gens se sont montrés très corrects et n'ont pas essayer de "tricher" avec les dommages de guerre, sauf une vieille dame qui, peut-être involontairement et sans s'en rendre bien compte, a donné à son architecte des renseignements exagérés. (Quand on a une petite villa qui mesure sept mètres sur quatre, il suffit d'ajouter deux mètres à chaque dimension pour en doubler la valeur).
Le maire me prévenait que tel jour, à telle heure un soldat allemand m'attendrait au poste de la plage - au début du boulevard de Cauvigny où se trouvait la lourde barrière de madriers et de barbelés ouverte ordinairement dans la journée - pour m'accompagner. C'était ordinairement toujours le même, un vieux type, qui était très content de cette promenade en bord de mer et qui, arrivé au lieu désigné s'allongeait dans l'herbe et me laissait travailler en paix.

"les inséparables"
Mon travail commença par les dernières maisons de Vierville, en limite de Saint-Laurent et j'eus même l'occasion de relever deux immeubles de Saint-Laurent dont l'Hôtel du Cheval Blanc. C'est au cours de ces allers et retours que nous rencontrâmes "les inséparables", (je devais les appeler ainsi par la suite),un vieux soldat à cheveux et moustache blancs qui paraissait avoir l'âge de la retraite bien sonnée et un gamin à qui on aurait donné tout au plus quinze ans. Je me suis toujours demandé si ce n'étaient pas le grand'père et son petit fils. Ce dernier en nous voyant posa une question à mon accompagnateur et cette question se terminait par "SCHWEINKOPF"; je ne parle pas l'allemand mais je sais ce que ce mot veut dire. Les deux vieux soldats s'arrêtèrent de bavarder, gênés; je fis celui qui n'avait pas compris mais mon regard croisa celui du gamin, et lui a su que j'avais compris, il se tint coi. Je devais retrouver les inséparables unis dans la mort le 8 juin 1944 à la porte de la Kommandatur, le fusil à la main.